PALIMPSESTES AFRICAINS
Primitivisme littéraire et avant-gardes (Paris, 1901-1924)
Par Jehanne Denogent
Thèse menée sous la direction de Christine Le Quellec Cottier et soutenue le 24 juin 2022 à l’Université de Lausanne.
Alors que le primitivisme représente désormais un chapitre incontournable des manuels d’histoire de l’art, l’intérêt des écrivains d’avant-garde pour les cultures extra-occidentales a longtemps été ignoré. Cette thèse s’attache à éclairer un faisceau de pratiques et de réflexions que les avant-gardes historiques ont associées aux cultures africaines. Elle met en évidence le rôle du référent africain dans le développement de la modernité littéraire en France.
Le premier quart du XXe siècle est marqué en effet par la diffusion d’une culture coloniale en Europe, qui touche aussi les écrivains. De Guillaume Apollinaire à Tristan Tzara, en passant par Blaise Cendrars, Jean Cocteau, Carl Einstein, Georges Fourest, Yvan Goll, Franz Hellens, Alfred Jarry, Filippo Tomaso Marinetti, Clément Pansaers, Raymond Roussel, Valentine de Saint Point, André Salmon ou Philippe Soupault, nombreux sont les écrivains d’avant-garde à s’intéresser aux arts dits «nègres». Non seulement ils commentent ces formes d’expression autres, mais ils s’en inspirent aussi dans leur propre pratique d’écriture. L’exemple africain suscite une réflexion sur la manière de signifier, sur la matérialité du langage et sur ses modes de performance. De la figure à l’imaginaire linguistique, le thème africain incarne des enjeux majeurs pour les avant-gardes et accompagne le renouvellement esthétique qu’ils revendiquèrent par leurs pratiques et leurs discours.
Abordant une perspective transversale, cette étude révèle la présence d’un moment africain des avant-gardes littéraires francophones gravitant autour de Paris. Dans les années 1901-1924, aucun de ces écrivains ne s’est toutefois rendu sur le continent africain. L’Afrique, dans leurs textes, constitue une construction textuelle, fabriquée à partir de sources multiples (expressions africaines, imaginaire populaire, culture coloniale, données ethnologiques ou phénomène de mode). Ce travail dégage les différentes strates de représentations convoquées puis transformées dans ce processus de resémantisation, et met en lumière la teneur discursive du primitivisme qui élabore une Afrique palimpseste.
Marie Vassilieff, Poupée-Portrait Blaise Cendrars (1922)
Rigadin, peintre cubiste, Georges Monca, Pathé, 1912 (Capture d’écran)
RESSOURCES DU CINÉMA « PRIMITIF » DANS LA POÉSIE MODERNISTE (PARIS 1903-1917)
Par Nadejda Magnenat
Thèse en cours sous la direction des Profs. A. Rodriguez et B. Turquety
Les poètes modernistes tels qu’Apollinaire, Cendrars, Jacob, Reverdy ou Cocteau, qui ont fortement œuvré au renouvellement de la poésie dans la première décennie du XXe siècle et qui furent surtout connus pour leur proximité avec les peintres modernes à Paris, ont manifesté un intérêt marqué pour le cinéma, voire ont directement participé à cet «art nouveau» à partir de la fin des années 1910.
Il faut «machiner la poésie comme on a machiné le monde» déclarait Apollinaire dans L’Esprit nouveau et les poètes (1917), en convoquant le cinéma comme un nouveau modèle disponible pour l’imagination créatrice. Mais à cette date, le cinématographe existe depuis plus de vingt ans. La thèse envisagée part de ce paradoxe en s’intéressant aux conditions de possibilité de cette rencontre, dès lors que l’émergence de ce qu’on a pu nommer cinéma «primitif», autour de 1900-1910, correspond de façon quasi simultanée au renouvellement moderniste de la forme poétique. Par-delà les discours explicites, dans quelles proportions les images du cinéma des premiers temps ont-elles marqué l’imaginaire des poètes ? En considérant ces divertissements comme le lieu d’un ressourcement primitiviste, cette thèse analyse l’impact qu’ils ont pu produire sur la création littéraire moderniste.
Les images pleuvent. Le cerveau se gonfle à la pluie.
Les nerfs se détendent. Le cœur s’apaise.
Les scènes défilent, me cinglent, comme les flagelles glacées des douches.
La vulgarité de la vie quotidienne me régénère.
(New York in flashlight, Blaise Cendrars [1912])