LE PROJET

LE PROJET

Fort de plusieurs partenariats sur plusieurs continents, ce projet suisse de recherche propose une réflexion fondatrice sur la notion de «primitivisme» en littérature moderne, à partir des avant-gardes à Paris au début du XXe siècle, dont les échos restent très puissants encore aujourd’hui.

Les enjeux interdisciplinaires visent à fédérer les spécialistes de cette période, par-delà les recherches monographiques qui fragmentent ce domaine d’étude. Co-dirigé par les profs. Christine Le Quellec Cottier et Antonio Rodriguez de l’Université de Lausanne, ce projet est soutenu par le Fonds national de la recherche scientifique. Il a débuté en janvier 2018.

ÉTAT DES LIEUX

Le primitivisme est une invention de la modernité,

en même temps que lui-même invente la modernité.

(Henri Meschonnic)

Plusieurs écrivains d’envergure (Guillaume Apollinaire, Blaise Cendrars, Jean Cocteau, Max Jacob, Pierre Reverdy), qui fondent le corpus de ce projet, en lien ou en rivalité avec de grands mouvements artistiques (symbolisme, cubisme, Dada, surréalisme), se réfèrent à ce moment-là à une telle notion ou à ses principes, sans que la critique ait pour l’instant suffisamment accordé d’attention à cette question pourtant centrale. Y a-t-il un primitivisme en littérature, et si oui, de quelle façon devient-il spécifique ?

Si les historiens de l’art ou les musicologues ont traité de cette notion, son emploi se révèle peu fréquent en littérature, souvent flottant, insuffisamment rattaché aux questions esthétiques et contextuelles. Par-delà l’idée d’un «cubisme littéraire», ces auteurs mettent pourtant en place des pratiques et des réflexions approfondies, souvent convergentes, qui donnent un relief singulier à cette notion et à ses implications narratives ou poétiques. Aussi ce projet de recherche vise-t-il dans un premier temps à :

  • comprendre comment les écrivains les plus importants qui ont accompagné Pablo Picasso, André Derain ou Raoul Dufy mobilisent une telle notion en littérature, au moment d’un bouleversement des arts à Paris ;
  • resituer cette notion esthétiquement et la rendre plus opératoire dans le cadre des études littéraires, en tenant compte de son intermédialité inhérente.
  • élargir la notion d’intermédialité aux spectacles de la culture populaire, plutôt que la limiter à la peinture et à la musique.

 J’aimais les peintures idiotes, dessus de portes,

décors, toiles de saltimbanques, enseignes, enluminures populaires.

(Arthur Rimbaud, Une Saison en enfer)

Qu’il soit une «attitude productive d’art» (Robert Goldwater) ou une articulation du «lointain» et de l’«originaire» (Philippe Sabot), le primitivisme offre un décentrement des normes artistiques et un renouvellement instantané des valeurs esthétiques. C’est pourquoi il n’est jamais éloigné d’un discours sur l’énergie créatrice (comme chez Henri Bergson). Des formes de «primitivisme» peuvent être repérées à diverses époques, dans de nombreux mouvements littéraires modernes ou post-modernes, en amont et en aval de la période sur laquelle se centre ce projet. Mais que ce soit par l’attrait des arts tribaux, des productions africaines et océaniennes, ou encore par l’art médiéval, l’art populaire, les formes folkloriques, les créations d’enfants ou de «fous», le primitivisme ne cesse d’innerver les discours de poétiques et de légitimation des avant-gardes au début du XXe siècle. Il est le «décentrement» par excellence de la modernité.

En écho à cette réflexion, nous questionnerons le discours contemporain qui met en cause les «appropriations culturelles», référant à des formes de néo-colonialisme. Comme le dit H. K. Bhabha à propos de notre monde globalisé, sans doute faut-il envisager la réflexion à partir du terme «translation», à savoir une traduction, suggérant l’idée du passage et de l’échange plutôt que celui de la possession…